A. Scherrer: Davel. Des brumes de l’oubli aux feux de l’opéra

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Titel
Davel. Des brumes de l’oubli aux feux de l’opéra. Deux siècles de création artistique pour transformer le traître en martyr puis en mythe


Autor(en)
Scherrer, Antonin
Erschienen
Lausanne 2020: Éditions Favre
Anzahl Seiten
256 p.
von
Nicolas Gex, Université de Lausanne

Le mois de mai 2020 aurait dû voir la création mondiale, à l’Opéra de Lausanne, d’un drame musical consacré à Davel, sur un livret de René Zahn, une musique de Christian Favre et dans une mise en scène de Gianni Schneider. Le public aurait découvert, en cette année du 350e anniversaire de la naissance du major, une nouvelle lecture des événements du printemps 1723 et surtout une réinterprétation contemporaine d’une figure historique, devenue, au fil d’un parcours complexe, un mythe vaudois. La pandémie en a décidé autrement. Le spectacle a été renvoyé à 2023. Par un heureux hasard, cette année coïncidera avec le troisième centenaire de la mort sur l’échafaud de Davel. Le beau livre d’Antonin Scherrer, prévu pour accompagner la première de cette œuvre lyrique, est une excellente occasion de (re) faire connaissance avec Davel, avant de le découvrir enfin en chair et en os (et surtout en voix) sur la scène de l’Opéra de Lausanne.

Cet ouvrage n’est pas une nouvelle étude sur la vie ou sur l’entreprise de Jean Daniel Abraham Davel. Il se nourrit des nombreux travaux savants qui ont exploré le parcours singulier du brave notaire baillival et commissaire arpenteur de Cully, passé par le service de Hollande, puis celui de France, avant de revenir sur les rives du Léman et de retourner à sa pratique, tout en assumant les fonctions de grand-major, commandant de l’arrondissement de Lavaux, récompense octroyée par LL. EE. pour son comportement exemplaire lors de la campagne de Villmergen. Malgré des zones d’ombres, qui ont fait le miel de nombreux hommes de lettres (pas ou très peu de femmes se sont emparées de la figure de Davel), ce volume porte l’attention sur un autre terrain. Il explore le processus de construction d’un mythe à travers ses représentations littéraires et artistiques (peinture et sculpture). En d’autres termes, l’auteur s’intéresse aux représentations de Davel et non à Davel lui-même. Cet objectif ambitieux est parfaitement atteint, grâce à la mobilisation d’une imposante documentation et à sa mise en récit convaincante. La riche iconographie, malgré quelques documents difficilement lisibles en raison de reproductions de petite taille, contribue à la réussite du projet d’Antonin Scherrer.

L’objet de ce travail est donc l’étude de l’image de Davel et de son usage. Cet objectif est décliné en onze chapitres chronologiques, correspondant chacun à un « moment » de cette évolution. Cette structure cache une articulation en trois parties aux fonctions différentes. La première (premier chapitre) est une mise en contexte synthétique des faits, fondée sur la littérature historique antérieure. L’auteur rappelle que l’historiographie davelienne a connu quatre phases : un temps de l’oubli (de 1723 à la fin de l’Ancien Régime) ; un temps de la réhabilitation (révolution vaudoise et débuts du jeune canton de Vaud, notamment sous l’influence de Frédéric-César de La Harpe) ; un temps de la découverte (dès la publication de l’étude historique de Juste Olivier en 1842) ; puis un temps de la vénération (dès le milieu du XIXe siècle). Cette dernière ère, qui n’est pas encore achevée, est scandée par plusieurs moments forts, qui font l’objet des neuf chapitres suivants, soit la deuxième partie de ce volume.

L’auteur a recensé avec une minutie l’ensemble des apparitions artistique de la vie et surtout de la mort du major. À travers les grandes étapes de la construction du mythe de Davel (commande par le Conseil d’État vaudois d’un tableau à Charles Gleyre en 1845, inauguration de la statue de Maurice Reymond en 1898, celle de la stèle de Vidy en 1899, jubilé de 1923), cette partie suit l’émergence de cette figure sur la scène artistique et son agrégation au sein du récit fondateur du canton de Vaud. Antonin Scherrer distingue avec subtilité les différentes interprétations qui sont données et les réactions suscitées par certaines d’entre elles. L’auteur se livre à des analyses pointues de certaines œuvres, les faisant dialoguer entre elles et avec le contexte. Ces différentes lectures de Davel contribuent à la construction du mythe, puis à son intégration dans le discours politique et patriotique vaudois. En raison de sa nature composite, il offre aux artistes une grande latitude pour faire de cette figure un patriote incompris, un Christ vaudois ou encore un illuminé. Néanmoins, une forme de récit canonique se fixe plus ou moins lors des grandes festivités du bicentenaire de 1923.

La troisième partie (dernier chapitre) est consacrée au spectacle qui sera présenté à l’Opéra de Lausanne ou plutôt à sa genèse. Parole est donnée aux principaux protagonistes de cette aventure artistique. Ces pages, très intéressantes, permettent à la lectrice et au lecteur d’être en quelque sorte associés à une œuvre en train d’être créée.

La force de l’ouvrage d’Antonin Scherrer, déjà mentionnée, est de s’appuyer sur un corpus documentaire abondant, dont il donne de larges échos à travers des citations d’œuvres, de comptes rendus contemporains, de correspondance et d’autres documents. Ces voix multiples sont reliées par des présentations soignées, agrémentées de commentaires de l’auteur. À ce propos, je me permets de formuler trois critiques qui n’ôtent rien à la qualité du texte. La première tient à l’absence de référence précise aux citations. Un système de renvoi, analogue à ce qui a été choisi pour les crédits photographiques (liste en fin d’ouvrage), aurait été précieux pour qui souhaite prolonger tel ou tel point évoqué au détour d’une page. La deuxième remarque tient à l’abondance de citations. Malgré un dispositif typographique destiné à distinguer les niveaux de discours (commentaire d’Antonin Scherrer et citation de documents), la confusion est inévitable dans certains passages du volume. La troisième concerne l’absence d’index. Un tel instrument de travail aurait rendu cet ouvrage de référence plus maniable. Quoi qu’il en soit, cette riche anthologie davelienne, malgré quelques petites absences qu’il serait mesquin de relever, constitue une importante contribution à l’histoire culturelle vaudoise et une intéressante étude de cas sur la formation et l’usage d’un mythe entre le XVIII e et le XXI e siècle

Zitierweise:
Gex, Nicolas: Rezension zu: Scherrer, Antonin: Davel. Des brumes de l’oubli aux feux de l’opéra. Deux siècles de création artistique pour transformer le traître en martyr puis en mythe, Lausanne 2020. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 194-195.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 194-195.

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